Les Bocquillons de Monsieur Jourdain
Dans le « Bourgeois gentilhomme », Monsieur Jourdain faisait de la prose sans en avoir l’air… L’analogie avec la pièce de Molière s’arrête pourtant à l’homonymie du nom de famille, car le Monsieur Jourdain dont il est question ici est plutôt expert dans ce qu’il entreprend. On devrait d’ailleurs parler des Messieurs « Jourdain », de ce patronyme (re)connu parmi les éleveurs de l’ouest namurois.
C’est que chez Jourdain, on s’occupe de Blanc Bleu Belge de génération en génération. Il y a le père, Willy, qui fait inlassablement le tour des fermes de la grande région de Philippeville-Dinant pour pratiquer son commerce de bêtes maigres. Et puis, il y a les fils, Christophe et Raphaël. L’élevage, ils sont évidemment tombés dedans quand ils étaient petits. Dans les années 80 et 90 ils ont, avec le paternel, donné ses lettres de noblesse à l’exploitation familiale.
Nous sommes à Romerée, entre Doische et Philippeville, dans la bien nommée rue des Chênes, une ferme d’élevage moderne, construite par phases à la sortie de la localité à partir de 1982 pour remplacer la traditionnelle bâtisse rurale du centre du village. Voici quelques années cependant, à la suite du décès de la maman Jourdain, les fistons ont ralenti la cadence, transformant l’élevage en activité accessoire.
Mais on ne balaie pas d’un revers de la main trente années d’expertise. Jean-Jacques Henrot, l’homme de terrain de l’abattoir Lanciers à Rochefort le sait. C’est que l’entreprise est un client fidèle de la ferme Jourdain : les meilleurs taureaux gras de cette terre d’Ardenne ont longtemps alimenté la chaîne d’abattage rochefortoise. Aussi, quand Lanciers a lancé sa filière « Bocquillon », c’est tout naturellement qu’elle s’est tournée vers les Jourdain pour assurer l’engraissement à façon des premiers animaux.
Pour la famille, une nouvelle activité est donc née l’automne dernier. Une trentaine de bêtes bénéficient désormais des soins quotidiens de Christophe et Raphaël. « Ils connaissent le métier, assure Jean-Jacques Henrot. L’engraissement du Blanc Bleu c’est leur spécialité ». Le roi des pâturages régionaux a effectivement besoin d’une attention particulière pour produire le meilleur. Dans ce cas ici pourtant, le meilleur est encore meilleur. En mettant le « Bocquillon » sur le marché, Lanciers permet au public de découvrir un Blanc Bleu plus goûteux, plus persillé, résistant mieux à l’assèchement naturel consécutif à la cuisson.
Le secret ? Il tient dans l’alimentation, naturelle et… naturellement plus généreuse en graisses végétales de qualité. Ration quotidienne des « Bocquillons » : du foin et des tourteaux produits par la société ForFarmers Hendrix selon une formule exclusivement élaborée pour la filière « Bocquillons » de Lanciers. « On y trouve du lin, du maïs, de la pulpe et, très important, une première extraction de colza », dit Jean-Jacques Henrot. Cette dernière est pauvre en graisses saturées et riche en Omega 3 et 6. Des qualités que l’on retrouve évidemment dans les steaks labellisés « Bocquillon ». « L’important pour nous c’est d’avoir la même viande toute l’année, d’où cette filière organisée et contrôlée par Lanciers ». À Saint-Gérard, à Ohey et à Chimay, d’autres fermes participent d’ailleurs à l’opération.
Non sans fierté, Christophe Jourdain donne quelques détails. « Nous recevons les bêtes – des génisses ou des vaches d’un veau – alors qu’elles ont entre 36 et 50 mois. Je leur réserve un box de 40 m2 pour cinq, c’est largement plus que les normes mais j’y tiens. Pour les bêtes c’est important d’avoir de l’espace, elles doivent pouvoir bouger, se coucher… à leur aise. »
Le travail ? « On nourrit deux fois par jour, avec une ration quotidienne de 8-9 kg de tourteaux, qui passe ensuite progressivement à 12 kg. L’engraissement dure quatre mois contre trois mois dans un système traditionnel. De cette manière on élève des bêtes sans stress. Et une bête sans stress c’est une viande meilleure ».
Et ça, c’est le secret de Monsieur Jourdain.